Du jeudi 03 au dimanche 20 novembre
Toujours dans les pas de Corto Maltese, dont l’auteur Hugo Pratt, originaire de Venise, a concocté un guide avec ses itinéraires préférés mettant particulièrement en valeur ruelles, placettes et détails architecturaux peu connus, nous arpentons désormais les quartiers de Cannaregio et de Castello. Et il nous faudra un peu plus de trois jours pour découvrir les trois balades proposées par le guide, respectivement intitulées Porte de l’Orient, Porte de l’Aventure et Porte de la mer. Des titres qui invitent le promeneur au voyage…
Venise, une porte sur l’Orient
Pour reprendre les termes du guide, Venise – prise entre l’eau, la terre et le ciel – est une ville frontière où s’entrechoquent aussi Orient et Occident. Originellement partie intégrante de l’Empire byzantin, la Sérénissime commerça très tôt avec l’Egypte, puis avec toute la Méditerranée orientale. D’emblée, le ton est donné, et on l’on devine aisément que la promenade intitulée « Porte de l’Orient » nous transportera dans cette Venise où cohabitaient Grecs, Arméniens, Perses et Turcs, tout en passant par le Ghetto qui réunissait de juifs d’Europe centrale, d’Espagne et du Levant.
Nous débarquons du vaporetto à la station Ca’ d’Oro, et immédiatement nous nous enfonçons dans les ruelles étroites de Cannaregio. Au bout de la Fondamenta San Felice, nous découvrons le Ponte Chiodo qui est l’ultime pont sans parapet de Venise, si l’on excepte celui de Torcello : en effet, les rambardes ont été ajoutés bien après la construction des ponts, pour éviter que trop de monde ne tombe à l’eau ! D’ailleurs, ce type d’accident était si courant qu’autrefois Il Gazzetino, le journal de Venise, donnait chaque jour les noms des gens tombés à l’eau la veille. Toujours à propos de ponts, on en dénombrerait – d’après différentes sources – entre 435 et 455, passages indispensables pour relier les 121 iles de la ville.

Deux ponts plus tard, nous parvenons face au Campo de l’Abazia, où subsiste encore le pavage en terre cuite d’origine, et sur laquelle se dresse la jolie église Santa Maria della Misericordia. Désacralisée, celle-ci abrite actuellement une curieuse expo qui se visite sans chaussures, où l’on regarde des vidéos avant-gardistes, confortablement installés sur de gros coussins posés au sol…






La promenade longe ensuite des canaux déserts, mais nous ne manquons pas d’observer les mille détails qui ornent les façades des maisons, comme par exemple ce chameau apposé sur le Palazzo del Cammello. Cette propriété aurait appartenu à trois frères marchands – Rioba, Sandi et Afani Mastelli – revenus du Péloponnèse à Venise en 1112. La fratrie serait aussi représentée sur le Campo dei Mori, par les statues des trois maures et de leur serviteur. Des réalisations qui nous plongent au cœur de l’Orient !












Encore quelques pas, et nous arrivons devant la belle façade gothique de la Madonna dell’Orto, datant du XVe siècle et dotée d’un campanile à bulbe qui, indéniablement, rappelle l’architecture orientale…



Faute de pont, aucun itinéraire en ligne droite n’est possible pour rejoindre le Campo Sant’Alvise ! Nous longeons alors le Rio de la Sensa avant de bifurquer Calle del Capitelo pour enfin nous retrouver face à la très austère église Sant’Alvise. Néanmoins, la richesse de l’intérieur contraste avec la sobriété de son extérieur, où plafond peint et nombreuses toiles ornent les murs. Un décor très chargé, un peu perturbant pour l’œil qui, dans une pénombre certaine, peine à se fixer sur un point précis !



Émouvant Ghetto Nuevo…
Nous arrivons ensuite au Ghetto Nuevo qui constitue l’un des premiers exemples de ségrégation religieuse forcée. En effet, un décret de 1516 impose à tous les juifs de s’établir dans ce quartier – alors qu’avant, ils habitaient la Giudecca. Le choix du site est déterminé par sa situation à la périphérie de la ville et par le fait qu’il n’abrite pas d’église chrétienne et qu’il est facile à contrôler grâce à la construction de deux portes qui sont fermées le soir. Les Juifs sont parqués la nuit… Ils doivent en outre porter un habit distinctif, une rouelle jaune remplacée quelques années plus tard par un béret de la même couleur. En outre, la communauté doit également s’acquitter chaque année d’un impôt d’un montant de 14.000 ducats.

Le 7 juillet 1797, les portes de l’ancien quartier juif isolé sont abattues par les troupes françaises : les Juifs sont émancipés au nom des valeurs de la Révolution – liberté, égalité, fraternité – en échange de leur alliance. Le Ghetto est cependant rétabli par les Autrichiens en 1804. Il faut attendre la libération de Venise et son rattachement au jeune royaume d’Italie en 1866 pour la suppression définitive du ghetto. Entre 1943 et 1944, sous occupation allemande, 200 juifs sur les 1200 habitant le ghetto sont déportés vers Auschwitz, seuls huit reviennent…



C’est aussi dans ce quartier que l’on rencontre des immeubles parmi les plus élevés de la ville, parfois de six ou huit étages. En effet, du fait de l’impossibilité de construire de nouvelles habitations au sein de ces quartiers limités et clos, les habitations se sont développées verticalement. (source Wikipedia)







Aujourd’hui, si le quartier abrite toujours plusieurs synagogues – visite guidée uniquement – ce sont surtout les nombreuses boutiques d’art qui attirent notre regard. Ainsi, nous apprécions particulièrement les ateliers d’Alon Baker et de Michal Meron, et si nous n’étions pas en partance pour le Brésil, nous aurions craqué pour une ou deux reproductions de leurs toiles colorées !






Le long du canal de Cannaregio…
Nous quittons le Ghetto par un porche où l’on distingue encore les gonds de la porte qui le fermait, puis on longe le canal de Cannaregio qui était autrefois l’artère d’approvisionnement principale de la ville. On le traverse en empruntant le seul pont à trois arches de Venise – le bien nommé Ponte Tre Archi – puis on rejoint la petite église San Giobbe.






Une grosse faim se faisant sentir, on reprend le canal en sens inverse, puis on marche jusqu’au Ponte delle Guglie où l’on rejoint le rio Terà San Leonardo, très animé – logique car il fait partie de l’itinéraire qui relie le plus rapidement la gare ferroviaire à la place Saint Marc.


Nous nous installons au Bar Alle Guglie Cicchetteria, une bonne adresse où l’on peut se restaurer de savoureux petits sandwichs, dans une ambiance très locale.

Et juste à côté, quelques gondoles amarrées font le bonheur de Gérard – sa seconde passion après les puits ! Mais c’est en vaporetto que l’on rentre à Sant Elena, un moyen de transport plus rapide – même si la ligne 1 prend son temps pour remonter le Grand Canal – et plus économique que la gondole – il faut en effet compter 80€ pour 30mn de navigation… Le guide proposait de poursuivre la balade jusqu’aux musées Ca’Pesaro et Mocenigo, mais nous avons préféré coupler leur visite avec celle consacré au quartier de San Polo qui fera l’objet d’un prochain article !




En route pour l’aventure !
Cette seconde balade – la Porte de l’Aventure – nous emmène aux confins des quartiers de Cannaregio et de Castello, un lieu où, enfant, Hugo Pratt rêvait d’embarquer pour de lointaines contrées… En ce qui nous concerne, notre vaporetto nous dépose à Rialto, un quartier toujours très animé, aux vitrines souvent alléchantes et esthétiques – mais on ne craque pas, d’ailleurs les boutiques sont encore fermées, il n’est que 9h du matin !






Après avoir traversé le Campo San Bartolimeo, commence le jeu de piste pour dénicher le Corte Romer ! Logiquement, il ne devrait pas être bien difficile de débusquer cette petite place qui donne directement sur le Grand Canal : et pourtant, on pinaille un maximum, mais comme on est têtu, on finit par y parvenir ! Il est vrai qu’il aurait été dommage de rater ce bel ensemble architectural datant du XIIIe siècle, et de la belle vue sur le Rialto…



L’itinéraire nous fait ensuite parcourir de petites ruelles à l’ambiance médiévale, à la recherche des courettes perdues du quartier. C’est dans l’une d’entre elles qu’au Moyen-Age vivait l’une des familles les plus anciennes et illustres de la ville, les Morosini.




Quelques ponts plus loin, nous arrivons au Campo Santa Maria qui fait face à la belle église Santa Maria dei Miracoli, remarquable par sa façade de marbres polychromes. Mais la sculpture la plus surprenante du quartier est celle d’un « sauvage » couvert de poils portant un disque solaire. Étonnant !


Puis c’est sous quelques gouttes de pluie que nous arrivons sur le Campo dei Gesuiti. L’église du même nom est fascinante par son déploiement de marqueteries de marbre, avec d’époustouflants effets de tentures et un plafond enrichi de stucs dorés… Un style baroque poussé à son paroxysme, loin de l’habituelle austérité prônée par les Jésuites…







San Michele, l’ile-cimetière de Venise…
De l’église Gesuiti, les Fondamente Nuove ne sont qu’à quelques pas… Ces larges quais n’ont rien de bien nouveau puisqu’ils ont été construits en 1589 ! C’est d’ici que partent les bateaux pour les iles du nord de la lagune dont San Michele, la plus proche, fait partie.




Avant le XIXe siècle, les Vénitiens enterraient leurs morts sur les parvis ou à l’intérieur des églises. Mais en 1804, Napoléon Bonaparte interdit la pratique et fit construire un cimetière à l’écart de la ville, sur l’île San Michele où se trouvait alors un couvent. Rapidement, la place manqua et le cimetière s’étendit à l’ile San Cristoforo della Pace toute proche. En 1837, après que le canal qui séparait les deux iles fut comblé, le cimetière prit enfin la forme qu’on lui connait aujourd’hui. De nombreux artistes ou personnalités sont enterrés ici, comme le compositeur Igor Stravinsky, le créateur des Ballets Russes Serge de Diaghilev ou encore le poète russe Joseph Brodsky.








Le cimetière est partagé en plusieurs secteurs suivant les obédiences catholique, orthodoxe ou évangélique. Le cimetière juif, lui, se trouve sur l’île du Lido.

De campo en églises, et d’églises en campo !
Une fois revenus aux Fondamente Nuove, nous nous perdons dans un lacis de ruelles pour rejoindre le beau campo Santi Giovanni e Paolo dominé d’un côté par la basilique du même nom, et de l’autre par la Scuola Grande di San Marco. Mais en chemin, Gérard ne résiste pas à l’appel du puits et de la gondole !







Si nous zappons la visite intérieure de la basilique et de la Scuola Grande – il faut en garder pour un prochain séjour ! – nous passons un bon moment sur cette jolie place particulièrement appréciée d’Hugo Pratt, dont la maison était toute proche.

Puis, sans nous presser, nous rejoignons le Campo Santa Maria Formosa en flânant devant les vitrines d’artisans. Nous jetons également un œil aux petits commerces plus classiques – cordonneries, boucheries, épiceries, merceries, cafés – car il ne faudrait pas imaginer que Venise soit une ville-musée ! Bien au contraire, c’est vraiment une ville qui vit au rythme de ses habitants !




La Fondation Querini-Stampalia, mémoire picturale du passé vénitien…
Installée dans un palais du Campo Santa Maria Formosa, cette fondation regroupe d’intéressantes peintures de l’école vénitienne, notamment une série de 69 toiles de Gabriel Bella mettant en scène la vie locale vers 1750. Des tableaux qui nous plongent presque trois siècles en arrière et permettent de nous rendre compte de la vie d’antan…







D’autres peintures attirent également notre attention, toutes portant sur la vie à Venise au XVIIIe siècle…









Nous sommes également conquis par la superbe toile de Giovanni Bellini, réalisée en 1469, qui représente une scène religieuse, saisissante de luminosité et d’intensité.

Encore un très beau musée qui nous a conquis par la richesse de sa collection !



Il est maintenant temps pour nous de refermer cette belle porte de l’Aventure ; après un dernier tour dans le quartier du Campo Santa Maria Formosa, nous repartons vers le Rialto d’où notre désormais habituelle ligne 1 de vaporetto nous ramène à Santa Elena… Encore une belle promenade qui nous a pleinement enchantés !


Aux portes de l’Arsenal…
Dernière balade de cet article, nous prenons aujourd’hui la direction de la Porte de la Mer… Et c’est à pied depuis Sant Elena que nous rejoignons l’Arsenal, installé au milieu du quartier de Castello. Véritable forteresse, ce chantier naval fut, dès le XIIe siècle, le symbole de la puissance maritime de Venise. L’entrée de l’Arsenal est majestueuse avec ses quatre lions alignés de part et d’autre de la porte… Le quartier est très calme en ce début de matinée, et on peine à imaginer que, par le passé, maitres charpentiers, fondeurs et autres corps de métier s’activaient sans relâche, tandis que les femmes étaient concentrées sur l’entretien des voiles et les enfants, dès 10 ans, employés à la fabrique de cordes…



Nous poursuivons vers le Campiello del Piovan, silencieux… En effet, seules trois margelles de puits et quelques arbres occupent les lieux, et chose rare à Venise, il n’y aucun restaurant ni boutique d’artisan pour animer la place ! Et un peu plus loin, notre regard est attiré par quelques reliefs originaux…




L’animation reprend dès que l’on aborde le quartier où se trouve l’église San Giorgio dei Greci, la plus ancienne église orthodoxe grecque d’Occident. L’intérieur est splendide avec ses icônes dorées…



Pour rejoindre le campo Francesco della Vigna et l’église du même nom, nous longeons quelques rues commerçantes où nous ne pouvons nous empêcher d’admirer les vitrines présentant différents objets utiles à la calligraphie. Une fois de plus, nous réfrénons nos envies d’achats, et nous contentons de craquer pour un magnet artisanal : au moins, il ne prendra pas de place dans le sac !




Pour en revenir à l’église Francesco della Vigna, celle-ci doit son nom à la vigne qui était autrefois plantée en ces lieux. Propriété de la famille Ziani, ce grand vignoble – le plus vaste de Venise – fut donné en 1253 aux frères cisterciens qui construisirent à la place un couvent…


Après une petite pause déjeuner dans un bistrot de quartier, il nous reste maintenant à nous diriger vers l’ile de San Pietro di Castello, un quartier autrefois peuplé d’artisans et d’ouvriers. Nous visitons l’église, dont le campanile penche nettement, puis nous repartons vers Sant Elena, toute proche.





Encore une belle boucle à pied qui nous a fait traverser de petits quartiers oubliés des touristes ! Et pour terminer cette journée en beauté, rien de mieux qu’un Spritz siroté en bord de canal, dans notre quartier de Sant Elena !





- INFOS PRATIQUES
- Nous avons eu deux hébergements, d’abord 3 nuits avec nos deux filles dans un grand appartement de San Polo, puis 14 nuits, dans un studio à Sant Elena, vers Castello.
- Ca’ Venissa, logement très confortable, spacieux (2 chambres, 2 salles de bains et un living avec cuisine) et très bien aménagé, belle déco, situé à quelques minutes à pied du Rialto, avec de nombreuses opportunités de restauration (à emporter ou à consommer sur place) dans les environs immédiats (on conseille le restaurant La Rivetta, juste au pied de l’immeuble). Environ 150€ la nuit, taxes de séjour à payer en sus (4€ par jour et par personne).
- Studio Airbnb ”Small apartment in a green area near Biennal”, situé à Sant Elena, à 150m de l’arrêt du vaporetto. Logement petit mais bien équipé, salle de bain, petite cuisine, lave-linge. On a beaucoup aimé le quartier, loin des zones touristiques fréquentées, et habité principalement par des Vénitiens ! Très bons contacts avec le propriétaire. Environ 65€ la nuit.
- Transports dans Venise et les iles de la lagune : Pass ACTV indispensable pour voyager sans restriction à bord de vaporetto, 65€ les 7 jours, 45€ les 3 jours, 35€ les 2 jours, 25€ les 24h et 9.50€ le billet unique valable 75mn. Réduction de 5€ par pass si on l’achète sur le site de Venezia Unica au moins 30 jours avant l’arrivée à Venise. Bon à savoir : une fois activé, le pass est valide par période de 24h. Merci à Marta de Venezia Uncia pour l’obtention de nos pass transport !
- Visites d’églises et de musées : on conseille d’opter pour la City Pass All Venice + Chorus église + Fenice, validité de 6 mois pour un passage dans chacun des 12 musées et des 16 églises. Accès au Palais de Doges seulement de 12h à 17h. 62.90€ & 38.40€ pour les +65 ans.
- Fondation Querini Stampalia, 10h-18h sauf lundi, entrée gratuite avec le pass