Vendredi 16 avril
Et hop, c’est reparti : deux jours après notre superbe visite de la maison de Dali à Portlligat, nous continuons de suivre les traces de l’artiste, et ce matin, nous mettons le cap sur Figueras, la capitale de l’Alt Emporda. Qu’importe le vent qui, comme souvent, souffle en forte bourrasque, et ralentit un peu notre progression, nous sommes motivés ! C’est la première fois que nous empruntons ce trajet à vélo, et l’objectif est d’éviter la double-voie très roulante – la c-260 – en suivant de petites routes. Malgré un fléchage très discret, et un petit cafouillage vers Vila-Sacra, la mission est accomplie avec brio ! A 9h45, après 1h30 de tranquille pédalage, nous garons nos montures devant de Théâtre-Musée Dali et nous commençons par faire un premier tour du bâtiment et de la place qui porte le nom du peintre.



Avant d’être transformé en musée en 1974, ce théâtre municipal demeure intimement lié à l’enfance et l’adolescence de Dali. En effet, le peintre, qui vit le jour le 11 mai 1904 à une centaine de mètres de là, participa en 1919 à une exposition collective d’artistes locaux organisée dans le théâtre, et plusieurs de ses toiles furent remarquées par deux critiques célèbres. Un premier succès qui encouragea le jeune Salvador à poursuivre dans la voie artistique…

Pour en revenir au théâtre municipal de Figueras, celui-ci fut incendié pendant la guerre civile espagnole, et resta en ruines jusqu’en 1960, date à laquelle, avec le soutien du maire de l’époque, Dali entreprit de le rénover. Dix ans de travail acharné plus tard, l’artiste avait gagné son pari : faire du vieux bâtiment en ruine le plus grand objet surréaliste du monde, et accessoirement un musée intégralement consacré à ses œuvres !
Où donc, sinon dans ma propre ville, ce qui est le plus extravagant et le plus solide de mon œuvre doit-il être conservé, où sinon ? Le Théâtre municipal, ce qui en restait, m’a semblé très approprié et pour trois raisons : la première, parce que je suis un peintre éminemment théâtral ; la seconde, parce que le théâtre se trouve juste devant l’église où j’ai été baptisé ; et la troisième, parce que c’est précisément dans la salle du vestibule du théâtre que j’ai fait ma première exposition de peinture. Salvador Dali, 8 août 1961




L’arrière du bâtiment est flanqué d’une tour d’inspiration médiévale – la Tour Galatea, ainsi rebaptisée par le peintre lui-même – surmontée d’œufs blancs. Ces fameux œufs, dans lesquels Dali y percevait les symboles de la résurrection du Christ, de la pureté et de la perfection, sont décidément très présents dans son œuvre.




A 10h30, nous sommes les premiers à pénétrer dans le musée, sous le regard lointain du maitre des lieux…

Petite émotion en découvrant la Cadillac pluvieuse, trônant à ciel ouvert, au milieu du patio du théâtre. Cadeau de Dali à Gala en 1938 alors qu’ils vivaient aux Etats-Unis, le véhicule fut par la suite reconverti en surprenante œuvre d’art : en effet, derrière les vitres, on distingue un chauffeur avec un chapeau-requin, alors qu’une femme en robe de soirée est assise à l’arrière, dans une ambiance détrempée où poussent des laitues, des chicorées, et où prolifèrent des escargots de Bourgogne. Et si on avait été plus attentifs, on aurait vu le monnayeur qui permet de faire tomber la pluie à l’intérieur de la voiture. Plus surréaliste, on a rarement vu !






L’intérieur du musée n’est pas en reste avec ce mouvement artistique dont Dali se voulait le maitre. Ainsi, aux murs des coursives est affichée toute une série de dessins dont il nous semble parfois reconnaitre l’influence picturale de Jérôme Bosch.









Plusieurs petites salles exposent des toiles peintes à différentes époques de sa vie. On découvre ainsi des peintures tantôt académiques, tantôt cubistes, voire même pointillistes. Mais sans conteste, ce sont les œuvres surréalistes qui nous fascinent le plus ! Et que dire des titres donnés aux dites œuvres, souvent sans rapport direct – pour nous, bien sûr ! – avec le tableau, comme ce Nez de Napoléon transformé en femme enceinte promenant son ombre avec mélancolie parmi des ruines originales… Certes, on aperçoit bien Napoléon, mais pour le reste, ça reste un peu flou ! Dans le genre loufoque, on aime bien cet autre tableau intitulé Autoportrait mou au lard grillé… C’est précisément là où Dali tutoie le génie : sans cesse, il nous promène entre le visuel pur et le ressenti, nous faisant nous interroger tant sur le monde extérieur tel qu’on le voit ou l’imagine que sur nous-même. D’un point de vue plus pictural, on a tout de même été étonnés de constater que certaines réalisations manquaient de soin et parfois même de finesse : Dali lui-même reconnaissait ce côté un peu brouillon, c’est pourquoi il préférait parfois voir les photos de ses œuvres plutôt que les originaux eux-mêmes !












Après l’ambiance feutrée des petites salles d’exposition, le changement d’ambiance est radical quand on pénètre sur l’ancienne scène du théâtre, éclairée par une immense coupole. Ce dôme réticulé transparent conçu par l’architecte Emilio Pérez Piñero, représentait pour Dali la quintessence du surréalisme.



Il est évident qu’il existe d’autres mondes, c’est certain, mais je l’ai dit à maintes reprises, ces autres mondes se trouvent dans le nôtre, ils résident sur la terre et plus précisément au centre de la coupole du Musée Dalí, où se trouve tout le nouveau monde insoupçonné et hallucinant du surréalisme. Salvador Dali


Là, notre regard est immédiatement attiré par la célèbre peinture Gala nue regardant la mer qui à 18 mètres laisse apparaitre le président Lincoln. Incroyable ! De près, seule Gala, nue de dos, apparait. Mais en prenant du recul et en plissant légèrement les yeux, c’est maintenant Lincoln que l’on distingue précisément. Dalí réalisa cette œuvre en hommage au peintre Mark Rothko, à partir d’une interprétation digitale du visage de Lincoln. Un concept de double image totalement novateur en 1975, qui n’est pas sans rappeler les actuels pixels de nos images numérisées…









C’est au premier étage que l’on découvre la pièce la plus célèbre du musée, celle du Visage de Mae West pouvant être utilisé comme appartement surréaliste. A l’origine, c’est sur une toile que Dali peint ce surprenant portrait en 1934. Quarante ans plus tard, il recrée son œuvre en trois dimensions, utilisant un sofa, une cheminée et deux tableaux pour représenter les parties du visage de l’actrice. Néanmoins, pour le visiteur, il est difficile d’avoir une juste perception anatomique de face : pour cela, il faudrait monter sur un petit escalier interdit d’accès au public…





Dernière pièce majeure, la salle du musée du Vent se distingue par la magistrale peinture du plafond représentant les pieds du Maitre et ceux de sa muse, Gala. Réalisée en partie dans sa villa de Portlligat entre 1972 et 1973, Dali achèvera cette toile perché sur de grands échafaudages…















Ainsi s’achève notre balade en Dalinie, un monde surréaliste qui interpelle et bouscule le visiteur à chaque pas. Alors oui, Dali, son personnage comme son œuvre, on déteste ou on adore, on critique ou on encense, mais une chose est sûre, personne n’y reste indifférent ! Et si ses détracteurs peuvent bien sûr lui opposer son opportuniste amitié avec Franco, son gout démesuré pour l’argent – il fut surnommé AVIDA DOLLARS, anagramme de Salvador Dali, par André Breton – ou encore la surmédiatisation de son travail, prenant la pose dans une attitude savamment calculée, on ne peut lui dénier sa fantastique créativité, loin de toutes conventions… (pour aller plus loin, voir la vidéo INA du 21 avril 1967)















Après ces deux heures de plongée surréaliste, nous reprenons pied dans la réalité, et très concrètement nous pique-niquons devant l’église Sant Pere, à deux pas du Théâtre, là-même où Dali, nourrisson, fut porté sur les fonds baptismaux.



Il ne nous reste alors qu’à reprendre nos vélos ; la sortie de Figueras se fait sans difficulté – pas gagné à l’avance ! – et cette fois nous pédalons jusqu’à Empuriabrava en empruntant la voie de service latérale à la double-voie. Un itinéraire un peu plus rapide qu’à l’aller, et tout aussi tranquille !
- INFOS PRATIQUES
- Camping Joncar Mar, Roses. Idéalement placé, à 100m de la mer, 10mn à pied du centre-ville et autant des supermarchés. Accueil très sympathique. Sanitaires propres et chauffés. Restaurant et épicerie ouverts toute l’année. Piscine en saison. Wifi efficace, payant (15€ les 50h, autres forfaits moins chers possibles). Electricité 6A (mais possibilité d’obtenir une seconde prise pour 50€ / mois). Environ 11.50€ la nuit, pour 2 adultes, 1 camping-car, l’électricité et les taxes dans le cadre d’un long séjour. On recommande !
- Accès à Figueras à vélo depuis Roses, 46km AR, plat, uniquement par les petites routes (la double-voie est absolument à éviter, je ne pense d’ailleurs pas que les vélos y soient autorisés). Prévoir 1h30 par trajet, (repères sur la carte : aller / retour, à Empuriabrava, inutile d’aller jusqu’en bord de mer, il y a un chemin qui descend directement sur la route)
- Théâtre-Musée Dali, horaires et jours d’ouverture à vérifier sur le site web (perturbations à prévoir en période de covid), 14€, réservation sur internet conseillée.
Fascinant 🙂 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Intel-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 😀
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